Taxe d’habitation : il faut absolument aller plus loin !

La suppression de la taxe d’habitation pour 80% des foyers français qui y sont assujettis est la grande mesure fiscale « phare » du quinquennat d’Emmanuel Macron, comme l’avaient été en leur temps la suppression, heureuse mais hélas non pérennisée, de la fiscalisation des heures supplémentaires de Nicolas Sarkozy, et la taxation, malheureuse, de 75% sur les très hauts revenus de François Hollande.

Pour rappel, la promesse du candidat Macron de supprimer partiellement la taxe d’habitation a été votée par l’Assemblée nationale le 21 octobre dernier. L’article 3 du projet de loi de finances pour 2018 prévoit ainsi une suppression progressive sur 3 ans avec des abattements de 30% sur la taxe d’habitation en 2018, puis de 65% en 2019 avant la suppression en 2020.

La réforme devrait être concomitamment mise en œuvre avec la révision des valeurs locatives, sur lesquelles repose le calcul de la taxe d’habitation mais aussi de la taxe foncière et de la cotisation foncière des entreprises (CFE).

16,6 à 17 millions de foyers bénéficieront de cette mesure qui concernera les foyers dont les ressources n’excèdent pas 27.000 € de revenu fiscal de référence (RFR) pour une personne seule (majoré de 8.000 € par demi-part supplémentaire) et 43.000 € pour un couple (majoré de 6.000 € par demi-part supplémentaire). Actuellement 4 millions de foyers de conditions modestes en sont déjà exonérés, la réforme ne change rien pour eux.

C’est naturellement une excellente nouvelle pour tous les Français qui en bénéficieront, l’augmentation globale de leur pouvoir d’achat étant estimée à 10 milliards d’euros.

La mesure repose aussi sur un constat unanimement partagé, la taxe d’habitation est un impôt particulièrement injuste car elle est calculée sur la base de valeurs locatives qui n’ont jamais été révisée depuis 30 ans, mais aussi parce qu’elle est inégale selon les territoires, bien souvent plus élevée dans les villes les plus pauvres qui ont besoin de plus de ressources pour leurs politiques locales et leurs équipements publics.

Pourtant, malgré ces justes postulats, la mesure risque de se heurter à plusieurs écueils si elle demeure en l’état.

Le premier écueil pourrait être la compensation. L’Etat garantit aux collectivités le produit des dégrèvements consentis à l’euro près. Mais la compensation dans un Etat, qui ne se réforme jamais sauf pour supprimer des postes dans les centres de finances publiques, où la dette publique s’élève à 2250 milliards d’euros et augmente à chaque seconde de 2500 euros, ce n’est pas aisé. Les exemples où cette compensation opère mal sont légion, nos députés n’ont pas manqué d’en citer de nombreux lors des débats du 21 octobre[1], concernant les transferts de compétences aux collectivités et, en particulier, la terrible augmentation des dépenses liées aux RSA en Seine Saint Denis.

Deuxième écueil, si les concours financiers de l’Etat augmenteront en 2018 de 300 millions et que la DGF connaîtra, pour la première fois depuis quatre ans, une légère augmentation de 0,4 %, soit de 95 millions d’euros, il demeure qu’un effort de bien plus de 10 milliards d’euros est toujours demandé aux collectivités pour réduire le déficit et contenir la dépense publique.[2]

Vous faîtes le calcul ? Beaucoup de collectivités, qui ont parallèlement perdu et vont continuer de perdre un nombre significatif d’emplois aidés (division par deux en deux ans), soit un vivier dynamique du monde associatif sur lequel repose beaucoup de politiques locales, auront bien du mal à « s’y retrouver » dans leurs budgets. Or, il n’y a pas d’équilibre social, de paix sociale possibles sans la création et la pérennisation d’emplois, notamment de catégorie C pour la fonction publique, dans les familles.

Le risque est grand, par ailleurs, qu’avec la faculté laissée aux collectivités de modifier leurs taux d’imposition, ceux-ci augmenteront dans certaines villes, ce qui aboutirait à faire contribuer plus les Français qui continueront de payer la taxe d’habitation. Ajoutons à cela la révision des valeurs locatives des logements qui, selon les projections de Bercy, pourrait faire rudement grimper la taxe foncière[3], et nous aurons les ferments d’une révolte des Maillotins.

Il ne faut pas négliger non plus l’impact négatif d’une privation partielle de ressources propres, dans un contexte financier tendu, les collectivités ont besoin de garder une pleine capacité d’action et l’intégralité de leur pouvoir fiscal.

Pour toutes ces raisons, et au nom du même principe de justice qui a guidé la suppression partielle de la taxe d’habitation, il faudrait aller dès maintenant vers sa suppression totale et entrer en véritable voie de réforme pour créer un impôt tenant compte des capacités contributives de chacun.

Avant l’examen du projet de loi de finances pour 2018 qui devrait débuter au Sénat le 23 novembre prochain, il est encore temps d’adopter dans de bonnes conditions cette réforme qui pourrait, sinon, se transformer en cauchemar pour les 20% des Français qui y resteront assujettis, et pour le gouvernement qui n’a pas besoin de servir sur un plateau un casus belli aux collectivités territoriales.

Sophie Bège

10 novembre 2017

[1] http://www.assemblee-nationale.fr/15/cri/2017-2018/20180020.asp

[2] http://www.gouvernement.fr/conference-nationale-territoires

[3] https://www.caissedesdepotsdesterritoires.fr/cs/ContentServer?pagename=Territoires/Articles/Articles&cid=1250278679661