Entretien avec Claude Mauguit

Consultant en entreprises

Auteur de « Gloria Coopérante »*

“Le modèle coopératif correspond aux aspirations humaines profondes”

Né dans une famille d’agriculteurs et de commerçants de l’Ouest, diplômé de l’ESSCA d’Angers, Claude Mauguit a occupé des fonctions de direction dans la distribution alimentaire et automobile avant de créer le cabinet de conseil M2 Consultant où il accompagne depuis plus de vingt ans les gouvernances d’entreprises du secteur de l’économie sociale et solidaire.
Fervent défenseur du modèle de société coopératif dont sa dimension humaniste constitue pour vous un rempart contre les desseins exclusivement matérialistes et financiers, ce modèle a-t-il des chances de se développer, en particulier dans de nouveaux secteurs ?

Le modèle coopératif est celui qui se développe le plus à travers le monde : 50 % de la planète vit dans ou de la coopération !

Le modèle peut se développer sans limites, tous secteurs confondus, il n’y a aucun obstacle, y compris dans le secteur bancaire, le Crédit agricole et le Crédit Mutuel sont des coopératives. Dans le monde, on le rencontre ainsi dans l’autopartage (Citiz) et le covoiturage (Mobicoop) ; la location de matériel électronique (Commown) ; le transport ferroviaire (Railcoop), les télécoms (Telecoop), notamment.

Il faut prendre conscience qu’une coopérative n’est pas une association loi 1901 sans but lucratif. On peut gagner énormément d’argent en coopération. Les distributeurs Leclerc, Système U et Intermarché sont des coopératives et leurs associés sont riches.  La principale différence avec une Société Anonyme traditionnelle est que dans une coopérative les excédents sont partagés par les Associés Coopérateurs à part égale. Chaque associé n’a qu’une part sociale dont la valeur est fixe. On ne gagne de l’argent qu’avec les performances du métier et les excédents, jamais avec la spéculation sur les titres et la valeur de l’entreprise.

Il faut prendre conscience qu’une coopérative n’est pas une association loi 1901 sans but lucratif

Avec des dirigeants élus selon le principe un homme = une voix, le pouvoir s’exerce aussi de façon démocratique et dans une transparence que l’on ne retrouve pas dans les sociétés capitalistes. Parce que l’entreprise n’est pas « opéable » ni délocalisable, c’est le modèle qui répond le mieux aux aspirations démocratiques, humanistes et qui permet un fonctionnement responsable. Beaucoup de ces entreprises se sont d’ailleurs engagées dans une démarche de R.S.E. à haute valeur environnementale. Modèle vertueux par essence, ce sont des entreprises ressortissantes de l’économie sociale et solidaire tels CoopCircuits (alimentation en circuit court) ; Enercoop (fournisseur d’électricité renouvelable) ; le Label Emmaüs (boutique de seconde main) ou La Nef (finance solidaire), mais le modèle est applicable à toute organisation qui souhaite co-opérer, c’est-à dire agir avec ses associés ensemble dans la solidarité, travailler les uns avec et pour les autres.

Dans votre livre, vous décrivez le profil du bon manager et ses qualités. Comment déterminez-vous ces dernières et, plus largement, existe-t-il des managers qui portent de nouvelles visions de gouvernance pour l’organisation du travail, sujet crucial aujourd’hui ?

L’humain au centre du dispositif doit être « la religion » d’un manager dans sa gouvernance en Coopérative.

Il doit aimer les gens de son secteur d’activité, et aimer signifie les accepter avec leurs qualités et leurs défauts. J’ai souvent vu des managers qui venaient occuper un poste sans bien connaître les personnes du métier et qui trouvaient à redire sur leur façon d’être. Cette attitude est rédhibitoire, il ne peut rien se passer de bon lorsqu’on porte un regard d’incompréhension sur les personnes, pour ne pas dire de mépris.

Une deuxième qualité nécessaire est l’acceptation de la démocratie participative, principe fondamental de la société coopérative. Ce sont les membres élus du conseil d’administration qui prennent les décisions, soit l’inverse de ce qu’il se passe au niveau de l’Etat en France où des gens immuables, dans l’ombre prennent des décisions indépendamment des politiques qui passent… Ce fonctionnement offre la possibilité de corriger toutes les déviances et excès que l’on peut rencontrer dans les autres modèles.

L’altruisme est aussi une qualité primordiale, il faut avoir le regard tourné vers l’autre, vers les associés coopérateurs plus que vers le système, soit l’inverse de ce qu’il se passe dans une société capitaliste. Ici la coopérative n’existe que par ses associés, encore une fois l’humain est au centre du système, et donc par cohérence, il faut s’intéresser à ce qu’il est.

Dans la coopération, on doit y être plus heureux que dans secteur libéral

L’esprit mutualiste doit être aussi presque génétiquement au cœur du modèle, comme le sens de l’égalité entre chaque associé, qu’il soit riche ou pauvre, important ou insignifiant.

Ces principes sont à respecter parce qu’ils sont respectables, mais aussi, et surtout parce que le manager les a profondément intégrés. Il doit être imprégné de ces valeurs humanistes. Dans la coopération, on doit y être plus heureux que dans secteur libéral, avec moins de risques et moins de pression et plus d’attention à l’humain favorisant l’accomplissement personnel dans un espace de liberté avec de bonnes conditions psychologiques et matérielles de travail.

 Vous évoquez de la réussite de plusieurs coopératives que vous avez accompagnées. Quels facteurs de réussite ont-elles en commun ?

Elles ont toutes un facteur commun : des gouvernances « politiques » et opérationnelles d’exception, ainsi que des valeurs inébranlables : solidarité – fidélité – démocratie – équité – transparence – proximité – responsabilité…  !

J’ai pu observer la volonté d’une poignée d’hommes de faire ensemble, de massifier des besoins, de mutualiser des moyens et de gérer une structure collective en toute équité et transparence.

La coopérative d’Esternay présente un exemple singulier de réussite par l’équilibre des pouvoirs, les valeurs d’équité, de proximité qu’elle a su mettre en œuvre. A ceux qui pourraient être tentés de dire que c’est facile dans une coopérative de taille modeste, je réponds que c’est naturellement possible à faire quand on est plus gros ! La taille ne doit pas excuser les défauts, notamment la déshumanisation, c’est inacceptable.

Avec Esternay, si l’on devait modéliser les clés de la réussite, j’ai ainsi noté :

  • La modestie et l’humilité des gouvernants (président et directeurs) qui choisissent le devoir d’être à l’envie de paraître, de faire » plutôt que « dire » ;
  • Le positionnement inconditionnel des associés coopérateurs au centre des dispositifs, chaque service, chaque action y sont pensées et mesurées en seuls termes de satisfaction et de bénéfices à offrir aux producteurs associés coopérants et aux équipes ;
  • La chasse rigoureuse aux coûts inutiles, notamment afin de comprimer les coûts d’intermédiation et de maximaliser l’excédent brut d’exploitation ;
  • L’affectation des excédents annuels en application d’un juste principe de précaution, ce qui a permis un niveau de fonds propres en capacité d’allouer des suppléments de rémunération aux associés coopérateurs à un moment où le contexte était tendu, « au pain sec » …

 

Plus généralement, dans toutes les formes d’entreprise, à quels enjeux doit répondre le management aujourd’hui ?

Dès lors que la société change, il est logique, et même indispensable que le management change aussi, cela serait dangereux que celui-ci n’évolue pas.  On a vu en 1968, les conséquences sociales engendrées par la rigidité d’un patronat refusant la négociation avec les salariés. Quelques années plus tard, le même refus du patronat de négocier les 35h voulues par DSK pour adapter les outils aux hommes, a obligé à légiférer avec les écueils que ne pouvaient que créer une loi d’application nationale quand il aurait fallu adopter les 35h presque au cas par cas. Cette culture française du bras de fer est fort préjudiciable au climat social, et partant, à la vie économique. Parfois, en 2022, on se croirait encore en 1936…

Au demeurant, le management a déjà commencé à évoluer, les entrepreneurs se rendent bien compte qu’ils vont avoir un problème avec leurs salariés dont les exigences sont légitimes dans la société qui connaît actuellement des mutations profondes.

Répondre, par exemple, à l’enjeu des transports est très important. Dans un monde où le carburant est à un prix prohibitif et où les structures de transport collectif n’offrent pas les meilleures solutions, réfléchir au logement des salariés pour qu’ils réduisent leur temps de transport revêt du sens, de même que penser la mise en oeuvre efficiente du télétravail comme le permet l’ère numérique, ou mettre en place des crèches d’entreprises.

Avec la question du comment, se pose aussi la question du pourquoi

Avec la question du comment, se pose aussi la question du pourquoi. Si l’on veut embaucher de manière efficace et durable, l’employeur doit donner du sens à l’emploi qu’il propose afin de créer de la motivation. De plus en plus de colloques de RH réfléchissent à la manière de construire les offres. Les employeurs doivent aujourd’hui séduire et donner envie de venir travailler dans leurs entreprises. C’est une évolution capitale, il faut bien accepter qu’on s’éloigne de la loi du plus fort et de la subordination qu’elle implique. Or, une majorité de chefs d’entreprises n’ont pas encore compris cela. Ils n’ont pas compris qu’avec une rémunération juste et des conditions de travail de bien-être, ils doivent offrir du sens à la mission qu’ils proposent. Quand les plaques tectoniques bougent sur la planète environ 3 cm par an, dans nos conventions collectives, nous en sommes toujours aux classifications des emplois réalisées par le ministre Parodi en 1945….

Le nouveau management repose ainsi sur l’acceptation des changements sociétaux et la faculté de répondre aux besoins.

Un deuxième élément à considérer est que la relation patron salarié doit être partenariale : « je t’apporte ceci, tu m’apportes cela ». Penser au partage de la valeur, c’est tout sauf voler les actionnaires. La participation, tant voulue par de Gaulle, il y a plus de cinquante ans, n’est toujours pas assez effective. On manque de créativité en ce domaine, au lieu, par exemple, de garder les primes de charbon à la SNCF qui présentent un caractère cocasse, il faudrait réfléchir à des nouveaux modes d’intéressement. A l’image des sociétés agroalimentaires qui étudient comment les gens se nourrissent, il faut mieux étudier comment les gens vivent afin de mieux répondre à leurs besoins au travail.

Bien sûr, il s’agit d’être dans une adaptation permanente pour répondre aux besoins. Mais l’aspiration au bien-être au travail, au fauteuil confortable, à la prise en compte de sa voix en tant que salarié, à l’absence de caporal-chef qui aboie, comme à des temps de travail différencié, notamment… ce n’est pas de la fainéantise !

Encore beaucoup trop d’entreprises restent calées sur des modèles du 19ème siècle, or, elles ont tout à gagner en faisant évoluer leur management. Et inversement, tout à perdre si elles ne parviennent pas à s’adapter pour mobiliser leurs salariés.

* Gloria cooperante” Faire ensemble” de Claude Mauguit – claudemauguit@m2consultant.fr

“La seule voie qui offre de l’espoir d’un avenir meilleur pour toute l’humanité est celle de la coopération et du partenariat

Kofi ANNAN, diplomate, économiste, ancien directeur général de l’ONU