Communication en période d’élections

« Des précautions sont nécessaires »

Entretien avec Jean-Louis Vasseur

Avocat à la Cour

Associé du Cabinet Seban & associés

Vie des acteurs publics, Droit électoral, Responsabilité administrative, Droit du financement

Quelles précautions doivent prendre les élus locaux qui ne se présentent pas à une élection mais soutiennent un candidat, notamment sur les réseaux et dans la presse écrite ? Bénéficient-ils d’une entière liberté ? 

Il convient d’abord de rappeler qu’en vertu du principe de la liberté de la presse, les organes de presse sont libres de rendre compte d’une campagne électorale comme ils l’entendent, et même libres de prendre parti en faveur d’un candidat.

La jurisprudence rappelle constamment qu’aucune disposition législative ou règlementaire n’interdit ni ne limite les prises de position politiques de la presse pendant la campagne électorale.[1] Les élus locaux dont la presse nationale ou locale publierait une prise de position ou un entretien dans lequel ils manifesteraient leur soutien à un candidat à des élections, n’auraient donc pas de précautions particulières à prendre à ce titre.

Néanmoins, les articles de presse ont une telle influence sur l’issue du scrutin qu’ils peuvent exceptionnellement être pris en compte par le juge électoral. Si des propos dépassant les limites de la polémique électorale ou introduisant un élément nouveau sont rapportés dans la presse alors que le candidat visé n’était pas dans la possibilité d’y répondre utilement, le scrutin sera annulé si sa sincérité a été altérée, même si le candidat élu n’a pas eu connaissance de l’article.

D’autres précautions sont, par ailleurs, nécessaires.

La première est que les élus veillent à ce que l’article ou l’entretien dans lequel ils exprimeraient leur soutien à un candidat, ne puisse être analysé comme un encart publicitaire payant, ce qui entrerait en contradiction avec les dispositions de l’article L 52-1 alinéa 1 du code électoral.

A cet égard, il convient de relever que le seul fait d’éviter de communiquer via un média audiovisuel ne signifie pas nécessairement une liberté totale pour l’expression du soutien des élus.

Il est aujourd’hui préférable, même si la jurisprudence n’est pas encore parfaitement établie à ce propos, de considérer qu’un site internet installé au bénéfice de candidats peut être reconnu comme un procédé de publicité commerciale diffusé par un moyen de communication audiovisuelle.

La méconnaissance de l’interdiction mentionnée plus haut pourrait entraîner une annulation de l’élection su le juge électoral saisi y voyait une irrégularité constitutive de manœuvres de nature à avoir altéré la sincérité du scrutin (CE 31 janvier 1990 Elections municipales d’Ollioules).

De plus, le coût de la publication et de la diffusion de l’article en cause pourrait être intégré au compte de campagne du candidat et être assimilé à un don de la personne morale que constitue le journal, donc également prohibé par l’article L52-8 du code électoral. Le candidat pourrait, dans ces conditions, voir son compte de campagne rejeté et être déclaré inéligible pour une durée allant d’un à trois ans.

Il convient de remarquer que la seule publicité autorisée jusqu’au scrutin concerne la sollicitation par voie de presse de dons de personnes physiques, mais elle ne doit pas prendre d’autre forme que celle d’un simple appel à dons.

S’agissant des autres moyens auxquels les élus pourraient avoir recours pour exprimer leur soutien à un candidat, notamment sur les réseaux sociaux tels que Facebook ou twitter, le recours à ces réseaux est, en lui-même, autorisé.

Mais si les élus ont acquis auprès de Google un système de référencement commercial permettant à leur site d’attirer vers lui des internautes, même s’ils effectuaient des recherches sans rapport avec les élections, alors le site, qui revêt un caractère de propagande électorale, devient un procédé de publicité commerciale interdit par l’article 52-1 alinéa 1 du code électoral.

Cette interdiction a été confirmée dans un arrêt du Conseil d’Etat (CE 4e Sous-sect, 25 février 2015 n°382904). Les candidats, ou les élus les soutenant, ne peuvent pas mettre en avant de candidature en optant pour ces publicités payantes.

[1] CE 25 juin 1986 Elections cantonales de Lauzes, 30 décembre 2002 élections municipales de Saint Leu, Cons. Consti. 7 novembre 2002 AN Alpes de Hautes Provence, 1ère circ..

Les règles, en particulier, des articles 52-1 et 52-8 du code électoral doivent-elles forcément aboutir à l’impossibilité pour un candidat d’accorder un entretien de fond, dans les six mois précédant l’élection, à un média autre qu’un site personnel de campagne, par exemple ? Et quels doivent être les usages sur les réseaux sociaux ?

Les restrictions mises à la communication institutionnelle et à la propagande électorale par les articles L52-1 et L52-8 du code électoral n’aboutissement pas obligatoirement à l’impossibilité pour un candidat d’accorder un tel entretien.

Un candidat peut, en effet, diffuser, par l’intermédiaire de son site personnel de campagne le contenu d’un entretien de fond de sa part, à caractère électoral.

Mais il le fait, naturellement, en intégrant à son compte de campagne les dépenses correspondant au coût du site et des frais afférents à ce dernier : les frais de conception du site internet ou du blog du candidat s’il a été crée spécifiquement pour l’élection ; les frais de maintenance du site internet ou du blog du candidat, si sa mise à jour est confiée à un prestataire de service ; les frais éventuels d’hébergement ou frais d’acquisition d’un nom de domaine ; les frais de mise en place de paiement sécurisé si le candidat envisage la collecte de dons en ligne ; – l’achat de fichiers de données (« mailing list »).

Un candidat peut, parfaitement, accorder un entretien à caractère électoral à un média. Si ce média fait partie de la presse « papier », il ne peut, toutefois, obtenir pour la publication de l’entretien un espace payant sur le journal, dans la mesure où ce moyen ne manquerait pas d’être apprécié comme l’utilisation prohibée à des fins de propagande électorale d’un procédé de publicité commerciale par la voie de la presse.

Le journal doit, conformément au principe de la liberté de la presse, publier cet entretien gratuitement.

Si ce média est un site de campagne électorale, la diffusion de l’entretien est possible. En effet, il a été jugé qu’un site internet spécialement réalisé en vue d’une élection relève de l’article L52-1 alinéa 1, en tant qu’il constitue une forme de propagande électorale par voie de communication audiovisuelle, mais dès lors que les électeurs choisissent librement d’un accéder, la connexion volontaire enlève au procédé tout caractère de publicité commerciale (CE 20 mars 2009 n322186 élection municipales de Longjumeau).

Il en est de même pour la Presse Quotidienne Régionale. Si les entretiens réalisés avec un candidat le sont de façon gratuite, le principe de la liberté de la presse interdit de considérer cette publication comme un acte de propagande électorale.

Il est arrivé, toutefois, mais très rarement, que l’intervention (même gratuite) de la presse soit jugée comme une atteinte à la sincérité du scrutin. Un organe de presse avait déformé un tract en prêtant à son adversaire des propos graves et qui n’avaient pu être démentis avant l’élection. Le juge électoral a estimé que la sincérité du scrutin a été altérée (CE 14 novembre 2008 Elections municipales de Vauroux n°316708 JCP 2008 req. N°2287).

D’une manière générale, les réseaux sociaux se voient appliquer les mêmes règles que celles concernant les medias classiques.

Si la jurisprudence relative, de façon spécifique, aux réseaux sociaux est encore limitée, voire inexistante, les élections de 2017 et les contentieux qui les suivront vont, sans doute corriger fortement cette tendance.