Il faut laisser aux territoires suffisamment de souplesse pour s’organiser

Entretien avec Jacqueline Gourault

Jacqueline Gourault, Sénatrice de Loir-et-Cher, vice-présidente du Sénat, a été de 2004 à 2014 chargée de l’intercommunalité au sein de l’Association des maires de France. Professeur d’histoire-géographie pendant vingt-ans, maire de 1989 à 2014 de la Chaussée -Saint-Victor, commune du Val de Loire, Jacqueline Gourault  a fait de la formation et de l’information juridique des élus locaux son principal cheval de bataille. Elle est également très investie pour la construction des collectivités et des territoires de demain,  en particulier, sur la création des communes nouvelles et la recomposition de la carte intercommunale. Nous avons voulu connaître le regard qu’elle porte sur les grandes questions qui font débat et publions, en suite de l’entretien, ses notes de synthèse sur la loi NOTRe  qu’elle a rédigés pour en assurer la pédagogie.

L’année 2017 est celle des grands rendez-vous électoraux. Selon vous, quelles orientations méritent d’être défendues en priorité pour les collectivités locales ?

Beaucoup de lois se sont succédées ces dernières années, quelques soient les gouvernements et les majorités, pour refonder l’organisation territoriale de notre pays. En tant que sénatrice représentante des élus et des territoires, je vois bien sur le terrain qu’il y a une saturation du changement, si je puis dire, et l’espoir qu’il va y avoir une pause dans la réforme territoriale.

Cependant, qui dit pause ne dit pas forcément ne rien faire. Dès lors que les lois votées entrent en application, on en voit les erreurs, les faiblesses et les oublis, et qu’il convient souvent d’en corriger à la marge les grandes directions qui ont été données. Bien sûr, je ne veux pas dire qu’il faut revenir sur l’intercommunalité ! Mais se concentrer sur l’amélioration ou la précision de certains points, je crois que c’est une première orientation très importante, de bons sens et de pragmatisme. Par exemple, après la loi du 17 mai 2013 relative à l’élection des conseillers communautaires au suffrage universel, on s’est aperçu qu’on n’avait notamment pas réglé la question de la suppléance d’un conseiller lorsqu’une commune n’en dispose que d’un seul. Ce point, extrêmement important dans la vie locale, a dû faire l’objet d’ajustements dans une loi postérieure [1]. C’est aussi la raison pour laquelle on a vu fleurir ces derniers mois beaucoup de propositions de lois qui visent à réparer justement de tels oublis dans un certain nombre de domaines. [2]

D’une façon générale, il faut bien voir que nous sommes toujours en train de chercher comment appliquer au mieux les politiques publiques et comment le faire dans le système le plus démocratique qui soit, au sens participatif. Quand je dis participatif, je ne pense pas seulement à la population, mais à l’ensemble des élus, en particulier ceux qui se trouvent parfois un peu éloignés du fonctionnement de l’intercommunalité, d’où la recherche permanente d’associer afin de trouver l’efficacité nécessaire pour agir. C’est un leitmotiv, on le voit bien sur le terrain.

C’est d’autant plus vrai pour la loi NOTRe[3] qui a notablement modifié le paysage intercommunal. Les intercommunalités étaient toutes assez semblables à l’origine, elles sont aujourd’hui de plus en plus dissemblables. Entre celles qui sont très grandes et celles qui sont plus petites, bien sûr, mais il y a aussi de grandes différences parmi celles que l’on appelle XXL. Le Grand Reims est ainsi un exemple d’intercommunalité construite par la volonté de l’ensemble des communautés rurales de la Champagne autour de sa grande ville moteur. Yves Detraigne, Sénateur de la Marne, qui en est l’un des artisans, pourrait en témoigner. On trouve, par ailleurs, des communautés d’agglomérations très différentes qui sont construites sur la ruralité avec uniquement des chefs-lieux de cantons, à l’image des « Territoires vendômois ». Il existe également de grandes différences entre les métropoles, ce vocable désignant des structures juridiques différentes (Exemples : Lyon, collectivité territoriale à statut spécifique et Marseille qui est une intercommunalité classique).

On observe ainsi une hétérogénéité croissante. Ce constat n’est pas un jugement de valeur mais une constatation dont on doit en tirer la conséquence qu’il faut laisser aux territoires suffisamment de souplesse pour s’organiser.

Ceci doit être un engagement prioritaire, me semble-t-il, aux côtés d’une grande urgence, celle de mieux expliquer et mieux faire connaître tous les outils existants pour que les élus puissent s’en emparer et les utiliser pleinement. L’inégalité est grande entre les territoires selon que les élus maîtrisent ces outils ou pas. Ceux qui disposent de toute l’information nécessaire conduisent des projets formidables là où l’on ne pourrait pas s’y attendre ! Il y aura, bien sûr, toujours des inégalités d’imagination et de créativité selon les élus, mais, en tout cas, la formation, l’information méritent d’être mieux délivrées. Le gouvernement n’assume pas assez cette mission. Les associations d’élus jouent leur rôle, mais les préfets pourraient faire plus de pédagogie, car quand la voix de l’Etat parle, les élus écoutent. Il y a dix façons de faire de la mutualisation, je ne suis pas sûre que les élus le sachent toujours. J’ai toujours été frappée par l’insuffisance du « service après loi » de l’Etat. Je me souviens avoir organisé des réunions d’information dans les territoires de mon département sur la loi NOTRe. L’émoi était grand sur les seuils de population. Des chiffres étaient avancés, d’abord 20 000 puis 15 000, mais jamais toutes les conditions, à savoir la dispense de ce seuil lorsque la densité du département et du projet intercommunal sont faibles. Si l’Etat est capable de nous annoncer des baisses de dotations, il devrait aussi mieux accompagner !

                                                                                              Vendôme

Vous dîtes qu’il n’est pas possible de revenir sur l’intercommunalité… mais ce n’est pas ce que soutient la favorite des sondages à la présidentielle, Marine Le Pen, qui veut en finir avec l’intercommunalité !

Quel dommage!! L’intercommunalité existe depuis très longtemps, on peut considérer que la loi de 1884 sur les syndicats était déjà de l’intercommunalité. Les élus la pratiquent depuis les grands bassins fluviaux ou les syndicats de ramassage des ordures ménagères. Dans ce cas là, pourquoi ne pas annoncer aussi que les communes nouvelles, construites sur le volontariat, seront démantelées ? L’intercommunalité, c’est le bon sens sur les territoires. C’est aussi une manière de partager les richesses sur un bassin de vie. Lorsqu’il y a un gisement de matière première dans une ville, il y a belle lurette que celle-ci en partage les avantages (notamment, le produit de l’ancienne taxe professionnelle ou de la CVAE aujourd’hui) avec les communes avoisinantes. Il y a dans l’intercommunalité une valeur de partage qui est très importante.

Dans ce contexte de réforme territoriale continue que va-t-il advenir du département ?

Le développement de l’intercommunalité a évidemment beaucoup perturbé les départements dans la mesure où ils étaient initialement les partenaires privilégiés des communes. L’intercommunalité a crée des espaces de vie où les communes peuvent s’organiser sans les services départementaux. En effet, parallèlement au désengagement progressif de l’Etat, certains départements avaient créé des services qui ne relevaient pas forcément de leur compétence pour aider les communes. Par exemple : pour l’instruction des permis de construire.

Avec le développement de l’intercommunalité, des services aux communes se sont développés, répondant à leurs besoins et jouant ainsi le rôle que certains départements avaient mis en œuvre (ou pas).

L’intercommunalité change la nature de la relation entre les communes et les départements. C’est la raison pour laquelle l’avenir du département devra évoluer et ne pourra se construire qu’en relation avec les intercommunalités.

Que pensez-vous de l’abandon de la réforme de la DGF ? A quelles conditions pourrions nous la mettre en œuvre ?

Il est absolument nécessaire de parvenir à faire cette réforme, mais il est moins facile de s’y engager en période de « pénurie ». Il est regrettable que nous ne l’ayons pas menée lorsque la France allait mieux, ou en tant cas, au moins avant de baisser les dotations…

Mais on ne pourra pas y échapper. Tous les élus n’y sont pas prêts, car dans une réforme il y a toujours des perdants et des gagnants. Il faudrait que ceux qui perdent aient le sentiment que ce n’est pas injuste. Sur les fondements, je suis de celle qui pense que la densité de population doit être prise en compte, même s’il y a de grands besoins dans la ruralité. En outre, la DGF actuelle est stratifiée en de trop nombreuses couches, surtout de compensation. Dès qu’il y a une crise, on supprime ou on baisse des impôts dont les collectivités ne peuvent cependant pas se passer, je pense en particulier à l’impôt foncier ou économique, alors l’Etat fait de la compensation par ses dotations. Cela n’est plus tenable, il faut une remise à plat.

Vous travaillez depuis longtemps sur le statut de l’élu, que faudrait-il aujourd’hui pour aller plus loin ?

On est à une frontière. Deux possibilités sont envisageables. Maintenir la tradition française, issue de la Révolution, dans laquelle les élus sont des bénévoles qui continuent leur activité professionnelle. Dans ce cas, une indemnité compensatrice de leurs frais de mandat et du temps accordé doit leur être attribuée.

Seconde possibilité : passer à un système similaire à celui d’autres pays européens. Dans ce cas, être élu devient un métier, mais seulement à un moment de la vie. La rémunération octroyée doit alors correspondre à un niveau professionnel.

Il me semble que le premier système n’est plus supportable, ni pour les élus, ni pour les entreprises employant des élus.

Actuellement de nombreuses améliorations doivent encore être faites sur plusieurs thématiques, notamment la formation, mais il y a souvent un moment où l’on bute car il faudrait glisser vers l’autre système, celui du véritable professionnalisme.

Cela impliquerait alors de mettre en place des garanties, des passerelles de retour quand le mandat se termine. Cela est envisageable, mais c’est toute une culture à changer.

[1] LOI n° 2014-873 du 4 août 2014 pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes, modifiant notamment l’article 273-10 du code électoral

[2] http://www.senat.fr/themes/dossiers-legislatifs-collectivites-territoriales-recents.html

[3] LOI n° 2015-991 du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République https://juricoll.fr/lorganisation-en-bref/

Synthèses de Jacqueline Gourault sur la loi NOTRe :

Partie intercommunalité

Partie collectivités