« La structure de la Métropole
du Grand Paris
devra être modifiée »
Entretien avec Denis Badré
Maire de Ville-d’Avray
Membre du bureau de la Métropole du Grand Paris (délégué aux questions fiscales et financières)
Membre honoraire du Sénat
Lors de la création de la métropole du Grand Paris, vous avez plaidé pour le maintien des EPCI existants, devenus depuis des Etablissements publics territoriaux (EPT). Pourquoi ?
A ce moment-là, la communauté Grand Paris Seine-Ouest (GPSO, dont Ville-d’Avray est membre avec sept autres villes) constitue l’une des intercommunalités les plus intégrées de France. Une très large part des compétences communales lui ont été transférées : l’intégralité de la voirie, la propreté, les ordures ménagères, les parkings, les transports, les espaces verts, l’enseignement de la musique, la protection de l’environnement pour ne citer qu’elles. Il s’agit de transferts réels, contrairement à ce qui peut s’observer dans d’autres communautés opérant des transferts « pour ordre ». Par exemple, quand il s’agit de la voirie de Ville d’Avray, c’est la communauté GPSO qui décide seule de refaire une rue ou de l’implantation d’équipement. A-t-on pour autant créé un échelon d’administration supplémentaire ? C’est difficile de soutenir cela parce que le mode d’organisation demeure communal. Le Bureau communautaire réunit les Maires et eux seuls. Lorsqu’ils interviennent, ce sont donc les communes qui interviennent. Simplement, elles le font ensemble. Nous n’avons, notamment, pas crée de journal d’information intercommunal, chaque ville conservant son journal communal. L’information sur les questions relevant des compétences transférées, par exemple sur les espaces verts, y est traitée par GPSO dans des pages à en tête GSPO, déclinées dans les journaux de chacune des huit villes de l’intercommunalité…
Comme nous avons appris à travailler ensemble au sein de GPSO, nous nous sommes dotés d’un certain nombre d’instruments communs, parmi eux : un pacte financier et fiscal, un projet communautaire et un contrat de développement territorial, une Société d’aménagement, un PLH, un office de HLM communautaire, une Maison de l’Entreprise et de l’Emploi, une Agence de l’énergie assistant, par exemple, les particuliers dans leurs projets d’isolation de l’habitat, une Agence du numérique, une Maison de la Nature… L’habitude de travailler ensemble nous a conduit naturellement à rechercher aussi systématiquement toutes les mutualisations possibles des services demeurés municipaux pour exercer les compétences restées municipales, pour le scolaire ou le social, par exemple. Nous avons ainsi là de nouvelles sources d’économie très importantes et une manière de rendre toujours plus étroite notre coopération.
Nous avons enfin racheté ensemble les terrains de sport de Renault qui accueillent désormais un complexe sportif très important géré en délégation de service public. Nous avons accompli ainsi, à huit, une série d’opérations lourdes qu’aucune ville n’aurait pu accomplir seule.
Et ce magnifique patrimoine commun, on nous a annoncé un beau matin qu’il fallait le casser ! Ce n’était pas possible. Personnellement, je ne saurais d’ailleurs pas comment le faire! Comment voulez-vous morceler en huit l’Agence de l’énergie ? Il ne paraît pas raisonnable de casser un modèle qui fonctionne, qui donne des résultats et nous permet d’explorer de nouvelles voies. L’intercommunalité, cela peut porter beaucoup de fruit. Elle crée une dynamique qu’il ne faut surtout pas entraver.
Dans un tel contexte, qu’apporte alors la Métropole du Grand Paris (MGP) ?
L’intérêt est, bien sûr, de pouvoir mener des projets à cette échelle au bénéfice de ses habitants dont les conditions de vie sont fonction de la qualité de grandes infrastructures, des transports en particulier, du développement du parc de logement et de la création d’emploi. La Métropole est le niveau approprié pour servir ensemble notre rayonnement et notre attractivité dans le monde ainsi que notre rôle d’entrainement dans le pays. Il est évident que l’organisation de la partie fortement urbanisée de la région Ile de France peut être améliorée.
Le problème, en l’état, est que la conception de la Métropole présente de nombreuses imperfections, relatives notamment à son périmètre, à ses compétences et à sa gouvernance.
Pour bien comprendre les conditions dans lesquelles elle a été créée, il faut savoir que le conseil des élus de la mission de préfiguration du Grand Paris[1] avait proposé de revoir le périmètre, les transferts de compétences et le système de gouvernance de la configuration initiale. Ce projet, voté à 94% par les élus de toutes tendances politique, le gouvernement n’en a pas voulu. Belle illustration de démocratie et de décentralisation, n’est-ce pas ? Lors des débats parlementaires, tous les amendements tendant à reporter la création de la Métropole ont été refusés, quand ce n’était pas, au cours de certaines séances, l’intégralité des amendements déposés ! Les trois communautés d’agglomérations de plus de 300 000 habitants qui existaient au moment de la création de la Métropole (GPSO, Plaine Commune , et Est Ensemble), sont certes parvenues à conserver leur périmètre et la majeure partie de leurs compétences. Mais elles ont été transformées en EPT (Territoires créés par la loi NOTRe), sans réel pouvoir financier ou fiscal. Et Paris restant seule pour constituer un de ces nouveaux Territoires, toutes les autres villes situées à l’intérieur du périmètre de la Métropole ont été réunies par l’Etat de manière assez directive au sein de huit autres Territoires. Le gouvernement voulait absolument un texte sur la Métropole avant la présidentielle, même si la conception de cette structure présentait de nombreuses imperfections. Le résultat est atteint : la Métropole existe, mais elle est loin d’être parfaite.
La première difficulté touche à son périmètre contenant la petite couronne, plus sept villes de la grande. Les communes permettant le fonctionnement des aéroports n’y sont pas toutes, et Saclay est en dehors. C’est dommage pour le rayonnement de la Métropole dans le monde. Heureusement, il y a la Défense !
Ensuite au niveau des compétences, les grandes infrastructures, les transports entre autres, relèvent de la région. Que reste-t-il donc à la Métropole ? Elle assurera la péréquation entre l’est et l’ouest, ou du logement social, soit autant de sujets qui dans un premier temps vont plutôt contribuer à dresser les communes les unes contre les autres. Nous ne disposons pas encore des moyens de construire une Métropole extrêmement conviviale, ce qui est une condition pour bien travailler ensemble ! Tout cela dans un contexte où deux départements (Hauts de Seine et Yvelines) avancent vers une fusion pour former une entité qui méconnaitra la limite du territoire de la métropole…
Enfin, le choix de structurer la Métropole sur la base d’une relation directe avec ses 131 communes, les territoires n’étant que des regroupements de celles-ci sans lien organique direct avec la Métropole, n’est pas le bon, à mon avis. Découlant des interventions des communes jusque-là isolées et des départements souhaitant se maintenir dans leur existence actuelle, car si toutes les communes de la petite couronne s’étaient regroupées dans des EPCI forts, ceux-ci seraient entrés en concurrence avec les départements, ce choix va, de fait, très vite poser problème. Il est notamment largement à l’origine de la complexité inouie de l’organisation financière mise en place.
Que doit-on faire maintenant ?
La Métropole fonctionnerait mieux avec 12 territoires (dont Paris) plutôt qu’avec 131 communes. Il faudra s’appuyer un jour sur ces intermédiaires que sont les territoires, que l’on a, entretemps, dépouillé de tout pouvoir fiscal. Il est dommage d’avoir privé ceux-ci de leur autonomie fiscale et budgétaire, ce qui aboutira à ce qu’ils n’aient plus de recettes propres à partir de 2020[2]. La Métropole aura beaucoup trop de recettes par rapport à ses propres besoins, en percevant toute la fiscalité économique locale, même si cela présente l’avantage de supprimer la concurrence intra-métropolitaine pour l’installation d’une entreprise puisque la fiscalité parviendra dans une caisse unique. C’est la Métropole qui s’occupera de la répartition des entreprises à l’intérieur de son périmètre.
Aujourd’hui, la Métropole met en place ses instances. Elles commencent à fonctionner selon une mécanique financière qui lui transfère la fiscalité économique des villes et des EPCI. Ceci privera souvent les collectivités existantes de ressources nécessaires à leur bon fonctionnement. La Métropole dispose aujourd’hui d’un énorme budget qui est purement nominal, soit en simplifiant, 4 milliards pour financer des besoins de fonctionnement estimés à hauteur de 4 millions. Et elle disposera de 7 milliards quand la CFE[3] lui sera attribuée.
De toutes façons, dès l’année prochaine, il va falloir modifier la loi, parce qu’elle ne peut fonctionner sur un certain nombre de points. Ainsi, en matière de péréquation, on a le FSRIF, fond régional en relation directe avec les communes et le FPIC, fond national dont les ressources sont prélevées directement sur les EPCI, à charge pour ces derniers de les répartir entre leurs communes. Le seul EPCI étant désormais la Métropole, les anciennes agglomérations ayant perdu ce statut en devenant des territoires, ce que nous avions déploré… Et bien, le gouvernement a décidé que ce sont les territoires qui resteraient contributeurs, alors même qu’ils ont perdu leur statut et surtout qu’ils ne perçoivent plus les recettes, comme la CVAE sur lesquelles est calculée chaque contribution. Les territoires seront taxés sur une recette qu’ils ne perçoivent plus !
Dans ces chantiers qui nous attendent, il faudra s’appuyer sur ce que le démarrage révèle de plus positif. Le fait d’appeler les 131 maires du noyau métropolitain à travailler ensemble sur les préoccupations concrètes qu’ils partagent est évidemment très utile, comme l’est le principe de la gouvernance plurielle.
[1] Mise en place par la loi du 27 janvier 2014de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles (MAPTAM)
[2] Les EPT perdront leur fiscalité propre dans cinq ans au profit de la métropole
[3] Contribution financière des entreprises, l’une des composantes de la nouvelle taxe professionnelle avec la CVAE (contribution sur la valeur ajoutée des entreprises).