Panchika Velez : Il faut faire rentrer dans la « maison théâtre » des personnes pour qui ce n’est pas un acquis inné, si je puis dire. Aller dans les quartiers, c’est essentiel, mais il faut aussi faire venir les personnes les plus humbles dans des lieux beaux, dotés des meilleurs équipements, emprunts de sacralité. J’aime avoir une salle qui réunit le notaire, le pharmacien, la femme de ménage, l’étudiant boursier et l’ado des quartiers ! Et ce n’est pas si compliqué de réunir autour de la recherche de sens et à la fois de plaisir. Si cette juxtaposition d’entités ordonnatrices peut aboutir à cela pourquoi pas… Parfois, on a la chance d’avoir des politiques qui aiment la culture, mais j’ai participé à tellement de tables rondes qui n’aboutissaient à rien …
François Decoster Je vous comprends. Pour cela, il faut un climat de confiance qui ne peut se créer que par de nombreuses rencontres dans un esprit de concorde. Pendant la concertation que nous avons menée, un climat de confiance s’est crée, qui encourage une ouverture où l’on prend d’ailleurs conscience que le théâtre ne commence pas à 20h30 ! Nous allons aussi faire beaucoup de formations pour les élus, il y a des codes, des mots dans la culture…
Panchika Velez : Très bien ! Surtout si vous associez à ces formations des artistes, et non seulement des comédiens, musiciens, metteurs en scène, écrivains, mais aussi des scénographes, costumiers, éclairagistes et des techniciens, en fait des gens qui sont « de la boutique » et qui mettent les mains dans la farine ! Je bataille beaucoup pour cela.
François Decoster : Mais nous travaillons comme ça ! Dans la Chapelle des Jésuites qu’on va inaugurer au mois d’Octobre, on y fera du cirque… ce sera ouvrir, comme vous en soulignez la nécessité, un lieu extrêmement majestueux… C’est l’excellence pour tous. Quand on a joué Othello dans un tout petit village, il y avait 100 spectateurs. Le festival de Jazz de Saint-Omer qui aura lieu du 15 au 19 juillet prochain**** se déploiera dans les rues de la ville, mais aussi dans sept communes rurales. On a inauguré le festival en 2015 dans un village de 1000 habitants… en rusant il est vrai… le village étant accessible par bateaux, nous avons un marais avec 700 kilomètres de canaux dans une réserve magnifique de biosphère classée au patrimoine de l’Unesco, nous avions affrétés depuis Saint-Omer trois bateaux de 50 personnes pour nous y rendre, en proposant ainsi une belle balade aux Audomarois ! J’étais sûr comme ça d’avoir au moins 150 personnes… à l’arrivée, j’ai trouvé 700 personnes ! Toujours pour aller dans votre sens, j’ajoute que c’est gratuit et qu’on n’a pas le public Jazz, concentré dans les grands festivals d’été, ici, on a crée le public ! Je souligne à cet égard, que l’événement est aussi l’occasion d’offrir une scène aux jeunes talents auxquels les grands festivals accordent peu de place car ils programment surtout des têtes d’affiches.
Panchika Velez Ce qui est terrible c’est qu’on a besoin d’avoir ces contextes politiques épouvantables (NDLR : le FN en position de gagner) pour se réunir… On est dans un moment où il faut que les politiques prennent conscience de la nécessité de l’intelligence, je ne dis pas de la culture, mais de l’intelligence. On est dans un tel moment de maladie sociale… Si on ne s’appuie pas sur la culture qui permet le recul, l’analyse, la mise en perspective et la vision de ce que nous sommes et des directions que nous devons prendre pour vivre tous ensemble, on n’y arrivera pas. Il faut faire appel à l’intelligence des gens, à leur sensibilité artistique et considérer comme un préalable qu’elles existent !
François Decoster Oui à l’intelligence collective ! C’est par l’éducation artistique et culturelle que l’on peut y arriver. Il faut une réforme de l’éducation en France. J’ai beaucoup d’espoir avec Jean-Michel Blanquer qui a été l’un de ceux qui a mis en avant l’intelligence collective. Je suis très attaché à ce principe. Une fois le temps de l’élection passée, avec ses logiques partisanes, on est au service des habitants et de ses territoires, on arrête d’être idiot et l’on vit tous ensemble. Lui est comme ça. Il faut sortir de la compétition individuelle, car on peut être bon aussi si celui qui est à côté est bon, et s’il y a deux bons, ils peuvent sans doute être bon ensemble. C’est ce qui change les choses. L’apprentissage par la pratique collective, à l’image des orchestres Démos *****, est en cela essentiel.
Panchika Velez J’ai eu beaucoup de subventions pour intervenir en matière sociale, j’ai travaillé dans beaucoup de quartiers en difficultés avec un souci : ne pas refaire des ghettos. J’ai eu la grande chance pendant une période assez longue, à partir de 1997 de pouvoir mettre en place cette dynamique validée par des soutiens territoriaux conséquents. On a obtenu ainsi des résultats extraordinaires avec un vrai suivi ! Les publics auxquels nous nous adressions, que nous mettions en situation de création, de pratique et sans démagogie, je le précise, sont venus ensuite assister à des rencontres, ont pris des abonnements pour les spectacles. Nous avions, en accord avec les tutelles concernées, fait en sorte que ce soit accessible à tous, sans gratuité systématique. Nous avions les moyens de travailler avec des artistes en activité, qui n’étaient pas uniquement des formateurs. Nous organisions des relais. Concernant les publics scolaires à cet égard, j’ai toujours milité pour qu’ils soient mêlés aux autres, plutôt que d’être parqués au sein de ce qu’il est convenu d’appeler les représentations scolaires.
François Decoster C’est pour ça que je tiens à mes formats PEPS qui répondent à ces objectifs, il y a un avant et un après. J’aime le travail qui est accompli, par exemple dans les harmonies municipales, c’est un lieu de mixité sociale exceptionnel, en Ligue 1 si je puis dire, notre harmonie municipale a même remporté un concours international…